Hier était l’une de ces journées où tu pognes un serpent qui te fais reculer de quelques cases. Comme dans le jeu Serpents et échelles…
En fait, j’ai aussi pogné un serpent avant-hier, qui m’a fait reculer d’autant de cases.
Hier était donc une journée où la douleur était vive et le simple fait de voir la face de ton chien te fais brailler…
Je me répète, ce n’est pas linéaire, une dépression. C’est comme un jeu de Serpents et échelles, juste un peu plus cruel.
Mais j’avais rendez-vous avec Guillaume…
Et c’est moi qui avait sollicité cet entretien. Pas question, donc, d’annuler la rencontre.
Je croise Guillaume depuis quelques années déjà. En fait, je le croise presque chaque fois que je vais saluer mes amis Maxine et Jerry, qui dirigent D’un couvert à l’autre, un organisme de Longueuil qui vient en aide aux personnes souffrant de schizophrénie.
Vous aurez donc compris que Guillaume est l’un d’eux. Mais il est aussi beaucoup plus que ça…
On ne se connait pas, mais chaque fois que je le croisais, il me saluait.
Forcément, j’ai fini par me rappeler de lui.
Avant de parler de son histoire et de sa maladie, je dois d’abord dire que j’ai passé un très agréable moment en sa compagnie. Pendant un peu plus d’une heure, on a jasé et je ne l’ai pas senti mal à l’aise une seule fois. Il s’est même permis quelques blagues, parce que c’est aussi ça, Guillaume.
Guillaume, c’est tout un numéro. On sent une certaine confiance. Mais on devine aussi que ça n’a pas toujours été comme ça. Car il est arrivé à Guillaume, plus d’une fois, « de se sentir comme un merde ». Mais plus maintenant.
La route a été longue. Et les petits pas, les fucking petits pas, on n’ose plus les compter tellement ils sont nombreux dans son cas. Tsé, tous les petits pas que tu peux faire en presque 20 ans…. Guillaume les a marchés. Et il a croisé quelques serpents en cours de route.
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En 1996, Guillaume vient tout juste d’avoir 18 ans et l’avenir s’annonce prometteur. Il est diplômé de la toute première cohorte du centre NAD, qui forme des spécialistes du jeu vidéo. Il est tout de suite repéré par Ubisoft qui l’embauche sans tarder.
Rapidement, Guillaume devient l’étoile montante au sein de la boite. C’est encore un joueur recrue, mais il est évident qu’une place l’attend sur le premier trio.
On lui fait rapidement confiance et on lui confie de plus en plus de responsabilités.
En parallèle, Guillaume se rappelle qu’il commençait à « moins bien aller ». « Mais je ne comprenais pas ce qui se passait », dit-il.
À sa quatrième année chez Ubisoft, il est directeur technique pour coordonner un projet avec Disney.
L’année suivante, il quitte Ubisoft pour A2M, où commencera lentement sa descente aux enfers.
Rapidement, les patrons lui annoncent qu’ils veulent réaliser son projet baptisé X-Project. Un jeu vidéo interactif révolutionnaire à l’époque.
On lui propose d’entrée de jeu un bonus de 10 000$ et 1% des ventes. Guillaume a 22 ans. « J’étais une star ! »
Plutôt que d’accepter, Guillaume panique. Il demande du temps pour réfléchir, enfile ses bottes et quitte le bureau.
La maladie, qui avait déjà commencé à s’installer, prend de plus en plus de place. Guillaume entend maintenant des voix. Il devient paranoïaque. « C’était tellement vrai, ces voix. »
- Qu’est-ce qu’elles te disaient ces voix, Guillaume ?
- Toutes sortes de choses. Par exemple, je pouvais écouter une chanson et j’entendais quelqu’un qui me disait : Ah non, pas encore cette chanson !
Inquiet, et convaincu que des gens lui veulent du mal, il se rend au poste de police. On lui répond qu’il fume du pot, et de s’en aller.
« Aujourd’hui, je suis persuadé que ça ne se passerait pas comme ça. Les policiers sont formés pour détecter des cas comme le mien. On m’aurait conduit à l’hôpital. »
Il finit néanmoins à l’hôpital et ses parents l’hébergent ensuite pour un autre mois.
En pleine crise psychotique, la tête de Guillaume tourbillonne d’idées. C’est à l’hôpital d’ailleurs qu’il avance la création de X-Project.
Après deux mois, il retourne chez A2M où on accepte qu’il travaille trois jours par semaine. Sauf que Guillaume a recommencé à fumer du pot.
« À l’hôpital, je ne pouvais pas toucher à ça. Chez mes parents, non plus. Alors dès que j’ai pu, j’ai recommencé. Et là, j’ai sauté pour de bon. »
(Petite note ici, le pot serait un déclencheur de la schizophrénie pour autant qu’on soit porteur de la maladie.)
Guillaume fini par perdre son emploi. Il se retrouve à nouveau à l’hôpital, pour un séjour de deux mois cette fois-ci.
À sa sortie de l’hôpital, il est comme un zombie. On lui a prescrit de l’épival, un médicament qui l’assomme, carrément. Il n’arrive plus à créer. Il a des problèmes de concentration.
Pour le pot, il opte pour une solution drastique. Trois ans dans une famille d’accueil où il vit dans une chambre grande comme un placard.
Depuis, il n’a plus jamais touché à un joint.
En 2007, Guillaume arrive à D’un couvert à l’autre dans le cadre d’un programme d’insertion sociale. Lentement mais sûrement, il remonte la pente.
Il est aussi suivi par un nouveau psychiatre qui lui prescrit un autre médicament que l’épival, le clozaril.
« Ça me permets d’être ici avec toi et de jaser, me dit-il. Et ça ne nuit pas à ma créativité. »
Aujourd’hui, Guillaume a 39 ans. Il vit de l’aide sociale et fait du bénévolat à D’un couvert à l’autre. Il donne aussi une dizaine de conférences par année pour DCL. Il parle de sa maladie.
J’oubliais, sa maladie. Officiellement, il souffre de schizophrénie affective, un drôle de terme pour signifier qu’il est aussi bipolaire. J’aurais pu l’écrire au tout début de ce texte, mais je trouvais que ce n’était pas si important.
Je voulais d’abord parler de Guillaume.
Ce même Guillaume qui parle ouvertement de sa schizophrénie. Ce Guillaume qui fait rire l’audience pendant ses conférences. Ce Guillaume qui continue de bosser sur des projets multimédia et qui rêve encore de mener à terme son jeu X-Project. Ce Guillaume qui aimerait aussi devenir un pair aidant, pour aider d’autres personnes comme lui qui souffrent de schizophrénie.
C’est l’un nombreux visages de la santé mentale dont on ne parle jamais. C’est sans compter les victimes collatérales, comme ses parents, qui ont eux aussi souffert de voir leur fils frôler les limbes.
Guillaume, le conquérant, n’a pas réussi à conquérir le monde avec son jeu vidéo. Mais il a mené une bataille autrement plus difficile. Un combat qu’il devra poursuivre toute sa vie. À l’image de son jeu X-Project, c’est un vrai guerrier que j’ai rencontré hier. Un véritable conquérant que j’ai trouvé si inspirant.
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