État de stress post-traumatique ou pas, mon cerveau continue de fonctionner.
Il fonctionne tout croche, il voit des dangers partout. Mais ma capacité à garder un esprit critique n’est pas trop écorchée.
Je m’informe donc, particulièrement au sujet des benzodiazépines, une catégorie d’anxyolitiques particulièrement populaire.
Ce matin, je tombe sur une étude publiée en 2005 dans The Journal of Clinical Psychiatry. Les auteurs concluent, en gros, que les benzos, c’est ben bon finalement.
Le potentiel des benzodiazépines à provoquer une dépendance et un sevrage après une utilisation chronique a conduit à un contrôle de leur utilisation dans de nombreux pays. Cependant, ce contrôle a eu pour résultat qu’un nombre important de patients se sont vu refuser une option thérapeutique qui pourrait être appropriée et efficace.
Et il y a une toute petite note de bas de page qui vient remettre ces conclusions en perspective.
Le Dr Susman a été consultant, a reçu des honoraires ou a mené des recherches cliniques soutenues par Pfizer, Wyeth-Ayerst, Organon et Forest.
En journalisme, ça serait l’équivalent de publier une enquête sur l’industrie pharmaceutique et de mentionner dans une note, à la fin du texte :
Les auteurs de ce dossier ont déjà été consultants et ont reçu des honoraires pour préparer les stratégies de communication de Pfizer, Wyeth-Ayesrst, Organon et Forest.
Bref…
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Pourtant, la science est claire depuis longtemps au sujet des benzodiazépines.
Ces médicaments ne doivent pas être pris sur une base régulière pendant plus de 12 semaines. Je ne compte plus le nombre d’études que j’ai lues qui tirent les mêmes conclusions.
La période de 12 semaines est la plus longue que j’ai pu répertorier. Plusieurs recommandent plutôt 8 semaines.
Pfizer, le fabricant de l’Ativan, précise même qu’il ne faut pas dépasser 4 semaines.
Visiblement, les auteurs de l’étude n’ont pas lu également les travaux d’un autre médecin, le Dr Heather Ashton, qui a consacré sa carrière à étudier les effets des benzodiazépines.
En 2002, elle a publié ce que plusieurs considèrent comme la bible en matière de benzodiazépines. On appelle même ce document Le manuel Ashton, en l’honneur de son auteure.
Toute sa vie, elle a scrupuleusement tenu à garder intacte sa crédibilité.
Dans un portrait que lui a consacré le New York Times, le 3 janvier dernier, la journaliste signale ceci :
She took great pains to avoid any conflict of interest that might undermine people’s trust in her work or profession. She scrupulously declined support of any kind from the pharmaceutical industry.
Comme ça, pas besoin de note de bas de page pour décliner ses conflits d’intérêts.
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Parlant de conflit d’intérêts…
Ma compagnie d’assurance veut me faire évaluer par un autre psychiatre, pour une contre-expertise.
Pas de problème avec ça. Je n’ai rien à cacher.
Mais je suis curieux, que voulez-vous. J’ai donc fait une recherche sur ce psychiatre.
Premier constat : il a sa propre entreprise, spécialisée dans les expertises pour les compagnies d’assurance.
Deuxième constat : au cours des huit dernières années, il s’est retrouvé à 17 reprises devant un tribunal à titre d’expert. Dans plusieurs cas, c’est son évaluation qui était contestée. Dans presque tous les cas, il avait été embauché par une compagnie d’assurance.
Je ne peux pas tirer de conclusions sur ce médecin, je ne l’ai jamais vu.
Mais je sais que le Collège des médecins se dit préoccupé par la médecine d’expertise.
C’est ce qu’a affirmé sa porte-parole Caroline Langis au Journal de Montréal, le 20 mai 2019. Le Journal venait de dévoiler que cinq médecins experts avait réalisé 40 % des expertises médicales demandées par la CNESST en 2017.
> Pour lire le texte, c’est ici…
À lui seul, le chirurgien orthopédique Mario Giroux a fait 686 expertises en 2017. Il a donc fait 535 000$ seulement en 2017, juste avec la CNESST.
Je suis malade, mais je sais encore compter.
Ça fait deux expertises par jour. Plus précisément, c’est 1,9 expertise par jour.
Est-ce que j’ose poser la question qui me passe par la tête ?
Allons-y…
Mais où trouvait-il le temps pour opérer des patients ?
Son collègue, le chirurgien Jules Boivin a réalisé 876 évaluations en 2015, 769 en 2016, avant de « diminuer » à 664 en 2017.
Je vous laisse vous amuser avec les chiffres et vous poser toutes les questions qui pourraient vous passer par la tête…
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Ca existe, donc, des médecins qui ont leur propre entreprise spécialisée dans les expertises médicales et qui ne font que ça ou presque.
Le code de déontologie du Collège des médecins prévoit qu’un médecin doit être neutre et indépendant en tout temps.
C’est sensiblement les mêmes règles ici comme aux États-Unis.
Mais il semble qu’on peut publier des études et y ajouter une note de bas de page, ou encore faire des expertises à plein temps pour le compte d’un tiers. Et faire beaucoup d’argent.
Ces médecins ont eux aussi prêté serment, sur Hippocrate, c’est juste qu’il y avait une petite note de bas de page dans leur cas.
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