Ouf… Je sais, c’est lourd comme titre.
Je veux d’abord dire que je vais beaucoup mieux. Il s’est produit une série d’événements et de rencontres déterminants dans les trois dernières semaines qui me permettent d’envisager l’avenir avec optimisme. Je sais aussi que j’ai maintenant les bons outils pour enfin passer au-travers.
Évidemment, le débat qui a cours actuellement au sujet de l’aide médicale à mourir pour les personnes souffrant d’un problème de santé mentale m’interpelle. C’est « t’ivident », comme disait Julie Couillard 😉
###
Peut-être que dans quelques jours, tout cela n’aura été qu’une tempête dans un verre d’eau. Mais c’est quand même assez troublant qu’on en parle.
On parle souvent du suicide, statistiques à l’appui. On parle moins des tentatives qui échouent. Et on parle encore moins des gens qui y pensent, parfois même souvent, et qui continuent de s’accrocher.
Je ne pense pas me tromper en affirmant que si on additionne le nombre de personnes qui tentent sans succès de se suicider à ceux qui y ont déjà pensé, ça dépasse, de loin, le nombre de suicides qu’on comptabilise chaque année.
Me semble que juste ça, ça devrait sonner des cloches. L’aide médicale à mourir pour les personnes qui souffrent d’un problème de santé mentale ? Vraiment ?
###
Avant de dire pourquoi c’est une très mauvaise idée et même une très mauvaise idée qu’on aborde seulement la question, je veux essayer de faire comprendre c’est quoi vouloir mourir quand tu souffres d’un problème de santé mentale.
Il y a présentement toutes sortes d’experts qui se prononcent sur le sujet. Disons que je me considère un expert moi aussi 😉
Je l’ai écrit plus d’une fois. Il m’est arrivé de vouloir mourir tellement j’avais mal. Dans mon cas, il y avait l’immense souffrance psychologique à laquelle il fallait ajouter des crises de panique quotidiennes. J’ai toujours parlé de crises d’angoisse, mais c’était des crises de panique. C’est l’une des choses que j’ai pu réaliser dans les trois dernières semaines avec l’aide des bonnes personnes.
Des crises de panique qui provoquaient d’intenses douleurs à la poitrine. Je n’ai jamais fait de crise cardiaque ni de crise d’angine, mais souvent, des gens qui font de telles crises se rendent à l’hôpital convaincus que leur coeur va cesser de battre.
Tout ça pour dire que ça fait mal en tabarnak. J’ai donc fait des crises de panique tous les jours pendant un an et demi. Il m’est arrivé assez souvent d’en faire plus d’une par jour. Pour les amateurs de statistiques, j’ai fait au moins 547 crises de panique. Mais ça dépasse probablement les 1000, parce qu’il m’est arrivé souvent que j’en fasse deux par jour et parfois trois ou quatre.
Alors c’est « t’ivident » que j’ai voulu mourir en quelques occasions. Tsé, tu te couches le soir et t’as peur de te réveiller le lendemain. Parce que tu sais que la crise de panique va arriver moins de deux minutes après avoir ouvert les yeux.
Il y a des matins où c’est juste trop. T’en peux plus. Mais surtout, t’as aucune crisse d’idée quand ça va finir par s’arrêter. Pire, tu répètes à ton psychiatre que tu fais des osties de criss de tabarnak de crise d’angoisse chaque matin – rappelez-vous, ça ne fait que trois semaines que je sais que c’était des crises de panique. Et lui, de son côté, te répète que tu fais une dépression causée par un manque de sérotonine dans ton cerveau.
Tu prends les médicaments qu’il t’a prescrit, pour booster ta sérotonine. T’essaie une molécule, puis une 2, une 3e, une 4e et une 5e. Rien ne fonctionne.
Il te prescrit un anxyolitique. Ça marche pas. Les effets secondaires font que la crise de panique ressemble à une balade dans un parc. Sur la notice qui accompagne le médicament, on fait mention des effets secondaires. Il est aussi précisé que 1% des personnes ressentent un certain nombre d’effets secondaires bien précis. Pis t’es dans le 1%.
T’essaie un deuxième pis un troisième anxylotique. Même résultat. T’es dans le foutu 1% encore une fois. Tu en essaie un autre qui fonctionne. Tu te dis yé ! Mais ce que tu sais pas, c’est que t’es encore dans le 1%. Ça va juste prendre plus de temps avant que ces symptômes ne se manifestent.
Celui-là est le plus pernicieux de tous. Parce que cet effet secondaire qui ne touche pas tout le monde, ça s’appelle l’effet rebond. Ça, ça veut dire que la molécule que tu prends commence lentement à aggraver tes symptômes de crise de panique plutôt que de les soulager.
Ça commence lentement. Tu fais une crise, tu prends un comprimé. La molécule, elle, a commencé à provoquer l’effet rebond. Ça veut dire qu’au lieu de diminuer les symptômes associés à une crise de panique, elle les amplifie. Tu n’en sais rien évidemment. Qu’est-ce que tu fais ? Tu pends un deuxième comprimé. La prescription le prévoit: c’est un à deux comprimés trois fois par jour. Ça fait un maximum de 6 pilules. Tu finis par prendre les 6 pilules. À tous les jours.
Vous allez dire que j’ai déjà un peu parlé de tout ça. Je sais. Un peu de patience et vous allez comprendre où je veux en venir.
Ta vie devient donc un cauchemar chaque jour. Chaque heure. Chaque minute.
C’est « t’ivident » que tu penses à mourir parfois.
Évidemment que tu veux vivre, là n’est pas la question. Mais tu ne vois aucune solution pour te sortir de ce trou qui te semble n’avoir aucun fond.
Je n’ai jamais vraiment eu de plan précis. C’était un flash qui passait dans ma tête. Mort, je n’aurais plus mal. C’est une vérité de la palice, évidemment !
Il y a eu seulement trois occasions où j’ai eu peur, vraiment peur.
La première fois, c’était l’une des rares fois où j’ai été capable de faire mon jogging. J’emprunte la passerelle piétonne pour traverser la 132 et aller courir sur la piste cyclable qui longe le Fleuve à Longueuil. Une fois sur la passerelle, un flash me traverse l’esprit. Je vois toutes ces voitures qui roulent vite sur la 132. Un peu comme une crampe au cerveau, une idée me traverse l’esprit. Quel bel endroit pour se crisser du haut du pont… La crampe passe, la chienne me pogne. Je sprint pour sortir au plus sacrant de la passerelle.
Les deux autres fois, j’étais chez moi, seul. Quand tu souffres autant, pendant si longtemps, ça devient aussi un cauchemar pour les proches. Ça été le cas, particulièrement pour ma fille. Ça va vraiment pas bien dans ta tête. Tu te sens aussi tellement coupable de faire vivre tout cela à ton enfant.
Chaque fois l’idée était la même, mais avec une nuance importante. Ce n’était pas « mort, je ne vais plus souffrir », c’était « mort, ma fille ne souffrira plus ». C’est ridicule, je sais. Comme si elle n’allait pas souffrir anyway.
Si l’aide médicale à mourir avait été possible pour moi dans ces moments-là, je ne sais pas ce que j’aurais fait, mais une chose est sûre, j’y aurais pensé…
###
Bon, trève de sentimentalisme. Si j’ai aussi raconté tout ça, c’est pour une raison bien précise.
La psychiatrie est la plus difficile de toutes les spécialités médicales.
En médecine, la chose la plus importante, c’est le diagnostic. Un othopédiste compte sur les radiographies. Un cardiologue sur l’électrocardiogramme. Pas besoin de continuer, je pense que vous avez compris le principe.
Le psychiatre n’a pas tant d’outils pour évaluer un patient. La science a évolué bien sûr. Il y a maintenant des outils disponibles pour raffiner un diagnostic. Parfois, une simple prise de sang peut en dire beaucoup. Mais ça ne fonctionne pas comme ça. Je soupçonne entre autres qu’il y a des questions budgétaires.
Le lien n’est pas direct, c’est plus insidieux. Mais demander un certain nombre d’analyses sanguines ou encore demander de mesurer le taux de cortisol, ça coûte des sous. Le réseau est débordé, ça craque de partout. Les demandes d’analyse pleuvent comme les sauterelles en Égypte quand Moïse vivait sa crise existentielle.
Des analyses sanguines demandées par un psychiatre ? Je postule que ça se peut que ça ne soit pas si bien perçu.
Évidemment, une analyse sanguine ne déterminera pas le diagnostic. Ça revient donc à dire que le psychiatre ne peut pas se baser sur beaucoup de faits objectifs pour tirer des conclusions. C’est donc la spécialité où la subjectivité occupe une place prépondérante.
Ils sont bien sûr formés. De longues études. On étudie à fond les différentes conditions mentales. On étudie à fond les différentes options biomédicales. Bref, on étudie.
Mais sans des faits objectifs, ça reste toujours une affaire de jugement.
Et c’est justement là où je veux en venir. Qu’est-ce que le jugement ? Comment ça fonctionne ?
Je ne pense pas qu’il est nécessaire de citer des études scientifiques pour affirmer ce qui suit.
Le jugement repose évidemment sur ses connaissances. Un psychiatre possède un sacré bagage de connaissances. Mais le jugement dépend aussi d’une foule d’autres facteurs éminemment subjectifs. Comme les valeurs, les croyances, les événements de vie, le contexte, alouette.
Un psychiatre, en gros, c’est un médecin de famille de la santé mentale. Je résume grossièrement, mais ça ressemble à ça. Il voit tous les cas : les dépressifs, les anxieux, les psychotiques, les névrosés, les bipolaires, les schizophrènes, les victimes de choc post-trauamtique, encore alouette.
Un peu comme un médecin de famille, quoi. Quand ça devient trop compliqué, le médecin de famille réfère son patient à un spécialiste : un neurologue, un urologue, un cardiologue, un orthopédiste, une troisième fois alouette.
Pour le psychiatre, c’est un peu plus complexe. Il y a les pédopsychiatres. Il y a aussi ce qu’on appelle la troisième ligne. On y trouve des psychiatres, qui sont déjà des spécialistes, qui ont fait une sur-spécialité.
Sauf qu’ils ne sont pas si nombreux. Sauf qu’ils sont débordés. Après tout, comme on le dit souvent, la santé mentale, c’est 3,5% du budget de la santé au Québec.
Donc, le psychiatre a devant lui un patient qui ne va pas bien dans sa tête. Les diagnostics possibles sont nombreux. Ce n’est pas une affaire de déterminer si la personne a un diabète de type 1 ou 2… Pour chaque diagnostic possible, les options de traitement sont multiples.
On sait depuis longtemps que le cerveau est la chose la plus complexe qui existe sur Terre. On commence aussi à comprendre que la chimie du cerveau varie grandement d’une personne à l’autre. Les interactions chimiques et neuronales peuvent varier de façon assez importante d’une personne à l’autre. J’en suis la preuve vivante.
Ajoutez à ça que le psychiatre doit essentiellement baser ses conclusions sur ce que lui raconte son patient. Un être humain lui aussi. Qui souffre. Qui souvent a un peu de misère à comprendre ce qui lui arrive. Lui aussi a ses biais, son histoire. L’information qu’il rapporte passe au-travers tous ces filtres.
Vous savez quoi ? Je ne voudrais pas être psychiatre. Je suis persusadé qu’il y en a des meilleurs que d’autres, mais force est d’admettre que le défi est titanesque.
Qu’est-ce qui se passe alors ? Les psychiatres avancent à tâton. Il fonctionnent sur le mode esssai-erreur. Ils se trompent, plus souvent que leurs confrères d’autres disciplines médicales. Surtout, ça prend du temps. Combien de fois lit-on des histoires de personnes pour lesquelles ça a pris des mois même des années avant qu’on ne mette le doigt sur le véritable bobo…
Et là, on voudrait évaluer des patients à boutte pour les autoriser à recevoir l’aide médicale à mourir ? Alors qu’on a de la difficulté à les soigner ?
Je sais de quoi je parle. Ça pris un an à mon psychiatre pour comprendre que la cause principale de mes souffrances, ce n’était pas une dépression majeure, mais un choc post-traumatique. Et encore, je suis probablement l’un des rares qui s’est battu à coup de lectures scientifiques, de consultations à gauche et à droite pour finir par convaincre mon psy. Et même là, je ne suis même pas certain que je l’ai convaincu réellement. Peut-être qu’il était juste exaspéré de m’entendre…
C’est plate à dire, mais la grande majorité des patients qui consultent un psychiatre ont juste le cerveau dans le jello. Pas qu’ils sont nonos, juste trop souffrants. Ça prend une immense tête de cochon pour continuer à contredire son psy. C’est malheureusement l’un de mes plus gros défauts et aussi, par le fait même, l’une des mes plus grandes qualités. Je ne m’accorde pas de mérite. Je suis comme ça, j’ai toujours été comme ça.
Mon opinion est finalement très tranchée sur ce sujet. C’est un scandale qu’on dépense ne serait-ce qu’une cenne noire pour débattre de ça. Cet argent devrait aller dans le réseau pour aider les patients et les soignants. Embaucher du personnel. Soigner le monde. Surtout leur donner de l’espoir. Parce que c’est ce qu’il y a de plus important avec la maladie mentale : l’espoir. On dit souvent que l’espoir donne des ailes. Redbull aussi, mais c’est une autre histoire 😉 Mais le contraire est aussi vrai. Je sais de quoi je parle.
Dépenser pour se poser la question si ça pourrait être une bonne idée de tuer du monde alors qu’on n’est même pas capable de les soigner correctement ?
Comme si les dollars pleuvaient par ailleurs en santé mentale…
p.s. : je disais qu’il s’est passé beaucoup de choses dans les trois dernières semaines. J’ai compris pourquoi j’ai tant écrit. Ça me faisait du bien, bien sûr. Mais comme je n’étais pas entendu dans le bureau de mon psychiatre, il me fallait le crier quelque part. Ce n’était pas conscient, évidemment. Comme quoi, la vie, c’est encore ce qu’il y a de plus fort. C’est pour vivre que le monde a besoin d’aide, du moins en ce qui concerne la santé mentale.
Publié par