Mon amie et collègue Marie-Ève Martel vient de publier une intéressante chronique intitulée Le petit confort.
On peut la lire ici : Le petit confort.
Marie-Ève aborde la culture du je-me-moi où l’on se fout un peu et même beaucoup de la souffrance des autres.
Elle donne entre autres en exemple les commentaires haineux après la mort horrible des sept enfants d’une famille musulmane dans un incendie à Halifax.
Marie-Ève postule que rien ne doit déranger notre petit confort.
J’ai une autre hypothèse.
C’est la dictature du bonheur.
Remarquez que ça ne contredit pas ce qu’avance Marie-Ève.
Nous vivons dans une dictature et c’est celle du bonheur. C’est celle en tout cas qu’on cherche à nous vendre. Et nous sommes plusieurs à vouloir l’acheter dans notre société qui a perdu bien des repères.
Mais c’est une dictature du bonheur artificiel. Le message derrière cette dictature ?
Comblez tous vos besoins et vous serez heureux.
Vous ne me croyez pas ?
Il suffit de regarder un peu la télévision pour s’en rendre compte. J’en ai déjà parlé, les publicités de constructeurs automobiles inondent les ondes. Et elles ont toutes la même trame de fond.
Avec un char, vous serez heureux. Vous vivrez plein d’aventures formidables. La vie est plate au volant d’un char plate ? Achetez un char l’fun et la vie sera formidable.
La même logique s’applique aux magasins d’ameublement. Les gens sont tellement plus heureux avec un nouveau sofa ou un téléviseur 72 pouces. Ils transpirent le bonheur.
Sauf que le bonheur tout le temps, chaque jour, chaque heure, chaque minute, ça n’existe pas.
Mais si t’es conditionné à y croire et que ça ne marche pas, y a forcément un problème.
Mais lequel ? Tu as un char neuf, celui où la petite famille avait l’air si heureuse dans la publicité que tu as vue 150 fois. Tu as changé ton mobilier de salon et refait toute ta cuisine. Tsé comme dans la publicité où la mère et sa fille trépignaient de joie à choisir qui un sofa qui un nouveau comptoir en granit.
Il n’y a donc aucune raison pour que tu ne sois pas heureux, selon les standards de la dictature du bonheur.
Mais tu ne l’es pas. Du moins, pas totalement. Malgré le char, malgré le sofa, malgré la nouvelle tondeuse, malgré l’immense cabanon qui pourrait servir de maison à une famille de réfugiés syriens.
Et il y a la souffrance. Celle des autres. Parce que la tienne, tu l’ignores. Hé ! Tu adhères pleinement à la dictature du bonheur. C’est IMPOSSIBLE que tu ne sois pas heureux en tout temps.
Elle dérange, la souffrance. Elle vient jeter de l’ombre sur ton petit bonheur artificiel. Petit bonheur qui t’a coûté la peau des fesses.
Je reprends encore ces paroles de la chanson Le bonheur de Daniel Bélanger.
Je sais le malheur, c’est comme le reste.
Moins on en entend parler.
Et moins ça nous intéresse.
Vous en doutez encore ?
J’espère que vous avez bien lu la chronique de Marie-Ève. Ces gens qui appellent après une alerte Amber non pas pour aider les autorités dans leurs recherches, mais pour se plaindre d’avoir été dérangés par l’alerte à une heure tardive.
C’est en plein ça la dictature du bonheur. Je suis supposé être heureux et tout le monde est supposé être heureux. Le contraire est impossible. Alors si vous n’êtes pas heureux ou si vous avez un problème, prière d’aller sonner à une autre porte.
Les gens qui souffrent sont les colporteurs du 21e siècle qu’on ne veut pas voir à notre porte.
Vous trouvez que j’exagère ?
Vous lirez La dictature du bonheur de Marie-Claude Élie-Morin.
« Le bonheur est devenu un impératif, au même titre que la minceur et le succès professionnel. Santé physique, équilibre mental, vie de couple, finances : on met constamment en avant la nécessité d’avoir toujours une attitude volontaire et « positive », parfois au mépris de la réalité. »
À force de vouloir carburer au bonheur comme si on était au volant d’un bolide de Formule un, on oublie que la souffrance existe. On oublie surtout comment la gérer, la sienne d’abord et aussi, celle des autres.
Forcément, c’est le je-me-moi qui l’emporte. Et tout le reste, c’est la faute des autres.
Je sais, j’ai plein d’amis qui ne sont pas comme ça. J’ai des collègues qui ne sont pas comme ça.
Mais c’est le danger de vivre dans une bulle. On finit par être déconnectés de la réalité.
La réalité, c’est qu’une grande partie de la société est comme ça.
Allergique à la souffrance et accro au bonheur, cette petite pilule dont il faut constamment augmenter la dose parce que son effet finit toujours par s’estomper.
Ça ne veut pas dire que tout est noir. Mais la trame de fond de notre société actuelle est inquiétante.
J’aimerais tellement avoir tort, mais je crains sincèrement avoir raison.
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Je suis tombé hier sur un texte dans lequel je me suis reconnu.
Son titre : La dépression souriante.
Non pas que je souris tout le temps, au contraire.
Mais je parle ouvertement de ma dépression. Je me mobilise de toutes mes forces pour m’en sortir. Ceux qui me lisent ou écoutent mes compositions ne voient que le résultat de mes efforts.
Quand je vois des amis, ils trouvent que j’ai l’air d’aller bien dans les circonstances.
Le texte soutient que la dépression souriante cache une véritable souffrance intérieure.
En fait, tous ces efforts de ma part sont à la hauteur de la douleur qui me pogne encore souvent à la poitrine. Je ne raconte pas tout, évidemment. J’ai une certaine pudeur. Juste dire que j’ai un truck plein de souffrances à gérer en ce moment.
Parfois, elle prend toute la place et il n’y a rien que je puisse faire, du moins pendant un certain temps.
Puis, mon p’tit côté guerrier reprend le dessus au prix d’un immense effort et je repars au front.
Une chose est sûre, et vous l’aurez probablement deviné : j’emmerde la dictature du bonheur 😉
p.s. : Mon petit confort à moi sur la photo. Un vieux sofa Ikea plein de poils de chien et ledit chien qui a décidé depuis longtemps que c’était SON sofa. À l’arrière, l’équipement de ma gardienne de buts de fille qui est rentré hier très tard de sa partie et qui fait sécher son équipement dans le salon. Juste à côté, le chat qui se fait bronzer. Le bonheur, quoi !
p.s. + : j’essaie de me relire avant de publier, mais je constate que je fais plus de fautes ou de coquilles qu’à l’habitude. Mea culpa.
[…] > Du petit confort de notre société. […]
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