C’est la deuxième fois que je prends la plume pendant ma dépression pour réagir à un texte dans La Presse.
J’ai commencé à lire le journal, mais à peine, je le feuillette, c’est tout. C’est évidemment le titre de l’éditorial de François Cardinal qui a attiré mon attention : « Il faut qu’on parle de santé mentale ».
L’édito de François Cardinal > « Il faut qu’on parle de santé mentale »
You bet, qu’il faut qu’on en parle… Mais il ne faut pas juste en parler, il faut commencer à agir.
Depuis septembre, je vis les moments les plus difficiles de ma vie. À 51 ans, je peux dire maintenant que je connais la douleur qui vient avec la dépression. Il y a des journées où tu as tellement mal et tu voudrais mourir. En fait, tu ne veux pas mourir, tu veux seulement arrêter de souffrir. Mais tu ne connais pas d’autres moyens d’arrêter de souffrir.
Cette douleur est difficile à décrire. Il y a d’abord cette immense douleur à la poitrine. Puis, tout ton être a mal. Tu as l’impression d’être habité par une seule chose : la souffrance. Tu ne peux pas dire où tu as mal exactement. Tu as mal partout et nul part. C’est ça qu’on appelle le cancer de l’âme. C’est difficile à décrire, mais ça fait mal en criss…
Il ne m’est rien arrivé, je me suis accroché. Je suis aussi formidablement bien entouré par mes deux grands enfants et de merveilleux amis.
Mais je comprends maintenant. Je comprends que des gens puissent avoir des idées noires. Je comprends que des Jean-François Lussier soit passé à l’acte. Ils sont des milliers au Québec, chaque année, à passer par là, la dépression. La plupart dans le plus grand anonymat.
J’ai accompagné mon ex-femme dans deux dépressions majeures. Je suis d’un naturel plutôt empathique. Je crois vraiment avoir fait de mon mieux pour l’aider dans ces moments difficiles. Mais il y a des affaires que je ne comprenais pas. Une fois dans ma dépression, une fois dans ma souffrance, je me suis empressé de lui passer un coup de fil pour lui dire que je comprenais maintenant. Je lui ai dit qu’il y avait évidemment des affaires qu’on ne peut comprendre tant qu’on ne l’a pas vécu. Et que je comprenais maintenant.
Ça serait une solution, ça. Que tous les Québécois sans exception se tapent une dépression. Y a des affaires qui bougeraient alors pas mal plus vite.
Mais c’est un peu utopique. Et surtout, c’est cruel.
Me semble qu’il y a moyen de faire avancer les choses autrement.
Je suis d’accord avec François, il faut qu’on en parle, de la santé mentale. Et pas seulement une fois par année lors d’une opération marketing d’une entreprise de téléphonie. Cette initiative est excellente, mais il faut qu’elle se poursuive les 364 autres journées.
Je suis en désaccord avec la ministre de la Santé. On peut consulter et agir en même temps. L’un n’empêche pas l’autre.
Je vais conclure en vous racontant ma propre expérience avec la santé mentale et le système de santé.
Au début du mois de décembre, il m’est apparu évident que j’avais besoin de consulter un psychiatre. Mon état ne s’améliorait pas, il empirait. Les médecins de famille font généralement un très bon travail, mais parfois, il faut recourir à un spécialiste.
Passé 50 ans, mon médecin m’a référé à un urologue pour vérifier la santé de ma prostate. J’ai eu un rendez-vous en moins d’un mois.
Un psychiatre? L’attente peut prendre des mois si vous êtes référé par votre médecin de famille. Sinon, il n’y a pas beaucoup d’autre options. C’est direction l’urgence de l’hôpital le plus près de chez vous.
Je me suis rendu à Pierre-Boucher où une excellente urgentologue a vite reconnu mon état et a proposé de m’hospitaliser pour quelques jours. C’est une fois installé dans une civière de l’urgence que mon cauchemar a commencé.
On m’a rapidement transféré à Charles-LeMoyne. Une fois rendu à l’urgence, on m’a installé dans une sorte d’aquarium avec cinq autres patients, derrière une immense vitre à la vue de tous. Je me sentais comme un rat de laboratoire sous observation dans ma jaquette bleue. On m’avait enlevé toutes mes affaires.
J’ai demandé combien de temps ça pouvait prendre avant de voir le psychiatre de garde. On m’a répondu que des personnes qui étaient déjà là attendaient depuis deux jours. Mon anxiété qui était déjà élevée a explosé. J’ai demandé à l’infirmier de prendre un anxiolytique qui m’avait été prescrit à Pierre-Boucher. Il m’a répondu que « les affaires prescrites à Pierre-Boucher, ça ne marchait pas à Charles-LeMoyne ».
Mon ex est arrivée à ce moment-là et elle a réussi à raisonner l’infirmier qui a accepté avec déplaisir de faire venir l’urgentologue. Ça ne lui a pas pris 5 minutes pour conclure que je n’étais pas à ma place dans l’aquarium. Comment est-il venu à cette conclusion? En lisant mon dossier. Ce que l’infirmier n’avait pas fait. Ce même infirmier qui se confondait en excuses pendant qu’on me sortait de l’aquarium.
Je vous épargne la suite un peu cauchemardesque et je ne parle même pas de la nourriture, infecte. Ma conclusion est sans appel. Les hôpitaux ne sont pas prêts à accueillir les gens en dépression qui viennent demander de l’aide. Pendant cinq jours, je me suis senti infantilisé, humilié.
La seule bonne nouvelle, je suis tombé sur un bon psychiatre qui m’a pris en charge. Ce qui est ironique, c’est qu’il admet lui aussi tous les problèmes que je lui ai énoncés lors de nos rencontres. En fait, il me dit que tous ses collègues sont du même avis. Pire, d’un côté, il me dit que la grande majorité de sa clientèle est constituée de gens en dépression ou souffrant d’un trouble d’anxiété ou de l’humeur. Et de l’autre, il reconnait que toute la profession sait que le système n’est pas du tout adapté à cette réalité.
Alors, je me pose une question… Y a-t-il un pilote dans l’avion?
Hé ! On parle de notre tête… Il me semble que c’est encore l’une des parties de notre anatomie la plus importante. Ça serait bien d’en parler plus et, surtout, de s’en occuper.
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